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Conférence sur Cro-Magnon

Cro-Magnon, 150 d’une découverte (pré) historique, 30/03/19

Roland Nespoulet, Maître de conférences

 

 

PREAMBULE

 

Une unité de lieu pour nos recherches :

-      Dès les premières découvertes en 1868, l’abri Cro-Magnon a été presque détruit. Nous savons peu de choses sur cet ancêtre potentiel. Avec mon équipe, nous sommes allés faire des recherches sur un autre site pouvant livrer des éléments de stratigraphie et pour connaître mieux l’homme de Cro-Magnon : l’abri Pataud.

Les deux abris (Cro-Magnon - moins 28 000 ans et Pataud - moins 22 000 ans) sont proches de trois cents mètres, aux Eyzies de Tayac en Dordogne.

 

Un changement de point de vue en préhistoire :

-      Les travaux menés à l’abri Pataud nous ont permis de réfléchir sur les rituels funéraires dans la région du grand sud-ouest de la France, il y a environ de moins 28 000 ans à moins 22 000 ans.

Notre changement de point de vue sur le paléolithique supérieur est d’abord parti d’une idée simple : « un site funéraire, c’est une tombe ». On creuse un trou, on y met le cadavre, des objets funéraires, de l’ocre, des offrandes et on recouvre le tout. Idéal pour les archéologues, car les ossements sont bien préservés.

A mon avis, cette idée simple est européanocentrée. Ailleurs dans le monde, la règle n’est pas du tout la tombe. Nous avons bien trouvé des sites funéraires, mais pas dans le modèle attendu. Pour les premiers jalons de la préhistoire, on parle des plus anciens outils, des plus anciens foyers, des plus anciennes sépultures. Et quand on dit sépulture, cela veut dire : tombe.

La conclusion, après 10 ans de fouilles à Pataud, est que ces hommes-là, les Cro-Magnon - des gravettiens -, n’enterraient pas leurs morts.

 

LES PREMIERS TRAVAUX DE RECHERCHES

 

Une étude de taphonomie :

-      Nous avons travaillé avec des collègues, dont Dominique Grimaud Hervé, sur l’état actuel des ossements de Cro-Magnon (conservés au Musée de l’Homme) en faisant une étude de taphonomie, c’est-à-dire l’étude de la transformation de ces ossements depuis 150 ans.

Quand on parle de Cro-Magnon, on parle d’Homo sapiens. Cro-Magnon fait partie de nos ancêtres en tant que symbole, mais ce n’est pas notre ancêtre phylogénétique.

  

D’autres espèces mises au jour dans le monde :

-      Sur le site de Djebel Irhoud, au Maroc, un crâne qui ressemble à Homo sapiens a été étudié. Il date de moins 300 000 ans.

Pour cette même tranche de temps, il y a eu récemment des découvertes de nouvelles espèces. Aujourd’hui, nous savons que les hommes de Cro-Magnon, Néanderthal, Denisova et Florès ont vécu simultanément sur la planète.

 

Rappel historique / le récit des origines change de main :

-      Un bouleversement arrive vers le milieu du 19ème siècle : la découverte de Néanderthal en 1856, et la même année, la parution « De l’origine des espèces » de Charles Darwin. Puis en 1868, la découverte de Cro-Magnon.

Le basculement arrive dans les mêmes temps avec Edouard Lartet et son fils Louis en 1861, puis avec d’autres préhistoriens, tous à la recherche des preuves de l’ancienneté de l’homme, « l’homme antédiluvien ». Tous sont des scientifiques voulant apporter des arguments, dans la stratigraphie et dans les lois de l’évolution, pour attester que l’homme est beaucoup plus ancien que ce que dit l’Ancient Testament. Les attaques face aux dogmes de l’Eglise furent violentes.

L’Eglise a répondu dans la foulée : « Le récit des origines, ce n’est pas nous. L’Ancien Testament est un récit légendaire, mais ce n’est pas de la science. Maintenant, si vous voulez apporter des preuves, c’est à vous de jouer ».

Les scientifiques ont été surpris par la rapidité de la réponse de l’Eglise, et ils ont été dans l’obligation de trouver des preuves à l’aide d’une discipline naissante.

 

Image d’Epinal :

-      A la fin du 19ème siècle et au 20ème siècle, l’image de Cro-Magnon, l’homme préhistorique, a été utilisé par les peintres, puis par la publicité et enfin par le cinéma (« Un million d’années avant Jésus-Christ », avec Raquel Welch). Cela montre pour chaque époque la façon dont le monde se représentait la préhistoire.

Par ailleurs, les travaux de Paul Broca en 1874 ont porté sur deux crânes de Cro-Magnon. Un crâne d’homme, intact. Et un crâne de femme, troué. L’hypothèse faite alors expliquait que la femme avait été blessée par l’homme, son « mari ». Ce qui sous-entend une domination masculine. Ceci a installé dans l’imaginaire collectif l’homme préhistorique traînant sa femme par les cheveux.

 

Le Musée de l’Homme envoie des moulages à travers la France :

 

-      Dès la découverte de l’abri Cro-Magnon, Edouard Lartet est prévenu. Il demande que les ossements soient rapatriés à Paris. Quand ils arrivent au Musée de l’Homme, ce dernier fait faire immédiatement des moulages et des kits pour les distribuer aux musées de Toulouse, de Périgueux, de Saint Germain en Laye afin de relayer cette importante découverte. Les éléments originaux, « Cro-Magnon I », restent bien sûr au Musée de l’Homme.

 

2005 – 2015 : NOUVELLES RECHERCHES

 

-      Avec plus de 250 restes, la collection Movius* est la seule collection de vestiges humains connus pour cette période du Gravettien final en Europe. Ces vestiges sont au cœur de la problématique du nouveau projet de recherches de Roland Nespoulet et al (intitulé « L’occupation humaine de l’abri Pataud il y a 22 000 ans ») afin de préciser les contextes géologiques et archéologiques. En effet, bien qu’excellentes à l’époque de Movius, les conditions de fouille n’ont pas permis de comprendre le statut de ces vestiges humains et leurs relations avec les activités domestiques observées dans la couche II.

*Hallam L. Movius et son équipe ont fait des recherches à Pataud dans les années 1950 et 1960. La collection ainsi rassemblée se compose de vestiges humains, d’artefacts comme des silex, des perles rectangulaires en ivoire de mammouth, des Vénus. Tous ces vestiges appartiennent bien à la période gravettienne.

 

-      Ce projet de recherches de Roland Nespoulet s’est articulé en trois volets d’égale importance : la reprise de la fouille, l’analyse des archives et un réexamen de la collection Movius (Nespoulet et al., 2008).

 

-      Une première déduction après analyses : dans la couche II, il y a eu 3 à 4 occupations successives d’habitants, et par ailleurs, les sépultures se sont faites en deux temps : dépose des ossements, et plus tard, prélèvements de ces ossements pour les installer plus loin, entourés de quelques pierres.

 

-      Parmi tous les vestiges étudiés, il y quelques objets que Roland Nespoulet qualifie de « extra » ordinaires : un biface acheuléen, un morceau de défense de mammouth, des statuettes, des scapulaires de bovidés peints ou décorés avec de l’ocre et plusieurs fragments de paroi (un « paléo » papier peint) avec des grands aplats rouges _ certainement liés aux rituels funéraires_.

 

CONCLUSION : deux sites complémentaires

 

Nous avons émis des hypothèses avec D. H. Gambier, collègue paléoanthropologue, sur la relation qu’il pouvait y avoir entre les deux sites datant de l’homme de Cro-Magnon (abri Cro-Magnon et abri Pataud).

L’abri Pataud était un habitat de chasseurs de rennes.

L’abri Cro-Magnon était un lieu de sépulture.

 

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